Ismael Ould était invité sur France Info le 22 novembre 2019, quelques jours avant le Black Friday, pour évoquer comment la distribution française et son modèle peuvent faire face aux plateformes comme Amazon ou Alibaba.
Céline Asselot : Il y aura dans quelques jours le Black Friday, avec ses promotions à tour de bras et puis les courses de Noël et les courses du mois de Décembre. Vous aurez sans doute la tentation ces prochaines semaines de miser sur Amazon pour vos commandes, pour vos livraisons.
Et bien ce n'est pas une bonne idée, selon le rapport publié par le député Mounir Mahjoubi, ancien secrétaire d'état au numérique qui a fait le calcul. Pour un emploi créé par Amazon, plus de deux emplois sont détruits dans les commerces traditionnels, soit près de 8000 emplois détruits
en France l'année dernière. La productivité d'Amazon est telle que le géant du commerce en ligne est a besoin de peu de salariés selon Mounir Mahjoubi: "Avant pour le même produit acheté, il fallait plus de monde pour le préparer, pour le vendre, pour être là pour vous. Mais qui dit plus de monde dit plus de gens avec un salaire et un emploi dans les territoires. Quand ça passe par Amazon, ces entrepôts, qui sont automatisés, avec une pression psychologique et physique très importante sur les salariés, qui seront bientôt remplacés tous par des robots! C'est à dire que ce n'est même pas de l'emploi durable. Et bien ça ça coûte moins cher et ça détruit de l'emploi. Cette année il va y avoir 100 milliards d'euros dépensés en ligne. Quand vous allez dépenser ces 100 milliards d'euros, décidez où ils vont. Décidez si ils vont à l'emploi près de chez vous. Le pire qu'on puisse faire à Noël, c'est offrir des cadeaux Made in China achetés sur une entreprise en ligne américaine qui ne paie pas ses impôts en France. Ca c'est sûr ce sont des cadeaux à zéro impact." Mounir Majhoubi qui lance donc sur France Info un appel aux consommateurs. Mais les entreprises elles aussi ont une responsabilité car beaucoup d'entre elles ont recours à Amazon pour leurs livraisons.
On va en parler avec vous Ismael Ould, bonjour!
Ismael Ould : Bonjour
C.A : Vous dirigez la société Anycommerce by ChapsVision. C'est une entreprise que vous avez créé il y a maintenant 5 ans et que vous présentez comme une sorte d'alternative à Amazon. Expliquez- nous d'abord ce que vous proposez
I.O : Je vous remercie de m'avoir invité. Donc Anycommerce by ChapsVision : on est une société de la tech. On a édité un logiciel qui répond à un modèle omnicanal. On travaille avec les acteurs historiques, des grands groupes comme Carrefour, comme Orange, comme Mr.Bricolage et qui doivent évoluer dans leur façon de servir leurs client, déployer de nouveaux services comme de la livraison en 1h, du click and collect. En bref notre logiciel leur permet d'être compétitif face à ce nouveau mode de consommation qu'offre Amazon.
C.A : Mais ce sont des entreprises qui avaient recours à Amazon avant ou pas?
I.O : Non pas du tout. En fait Amazon vient les concurrencer. Par exemple quand il y a quelques années Amazon s'est lancé à Paris et a dit "moi je vais pouvoir livrer en 2h", on atravaillé avec Carrefour pour pouvoir lancer la livraison express en 1h et donc de dire "voila, on est capable, nous, acteur historique..."
C.A : On fait mieux qu'Amazon.
I.O : Exactement, on fait mieux qu'Amazon avec notre personnel, notre personnel en boutique et en servant directement nos clients.
C.A : Il y a combien d'entreprises aujourd'hui qui ont recours à vos services?
I.O : Aujourd'hui une centaine.
C.A : Et est ce que vous savez si évidemment c'est l'efficacité qui les a conduit à vous choisir ou est-ce que c'est aussi peut-être un geste politique de dire "on va pas aller chercher les américains".
I.O : Alors la première des choses, c'est que nous on pense que cette transformation digitale qu'ils sont en train de vivre, elle est indispensable. C'est vous et moi qui en avons besoin en tant que consommateur. On a besoin de plus de services. Donc ça c'est la première des choses.
Après la question c'est comment y répondre et de se dire qu'aujourd'hui c'est leur modèle d'organisation, la façon d'avoir du web séparé du physique ça permet pas de répondre à l'intégralité des services dont a besoin le consommateur. Et c'est dans cette brèche qu'Amazon est venu se mettre pour les concurrencer, en disant "moi je vais arriver avec des investissements, des milliards, je vais arriver avec des supers entrepôts robotisés, et je vais pouvoir faire mieux, plus vite et moins cher que ces acteurs historiques."
Et nous chez Anycommerce by ChapsVision on pense que la vraie valeur elle est dans l'humain, dans la transaction, dans le commerce et dans le conseil et dans le conseil et dans la relation humaine, et en fait il faut plutôt pouvoir leur donner les outils techniques, technologiques pour pouvoir y répondre.
C.A : Est-ce que ça vous inquiète vous la domination, la toute-puissance d'un groupe comme Amazon.
I.O : Oui, ça m'inquiète beaucoup, parce qu'en fait on a déjà connu ça en France il y a quelques années avec la désindustrialisation. Pour moi il y a un premier enjeu qui est un enjeu de souveraineté. La question c'est comment nos populations s'approvisionnent pour acheter ces produits, ces services. Déjà aujourd'hui on sait qu'on ne les fabrique plus chez nous. Si on ne les distribue plus chez nous demain il va y avoir un vrai enjeu d'indépendance et il faut dire une chose c'est qu'Amazon est seul... Bon il y a Amazon du côté de l'ouest et Alibaba du côté de l'est. Ils sont très bien organisés et leur force, et ça je tiens à la dire, c'est qu'ils sont dominants sur leur marché domestique. Et là où on a pas bien su s'organiser, c'est comment on peut faire pour faire en sorte que nos champions français, parce qu'on a énormément de champions français, on en a parlé: dans le luxe, dans la distribution alimentaire, dans la distribution spécialisée, on a plein de marques en France comme Décathlon, LVMH ou autre qui sont leaders mondiaux. Comment on fait en sorte déjà d'être leader sur notre marché national pour pouvoir ensuite s'étendre. Un Alibaba, c'est Alibaba parce qu'il est
leader en Chine. Un Amazon, c'est Amazon parce qu'il est d'abord leader aux Etats-Unis.
C.A : Donc on manque d'unité en fait en France, c'est ce que vous dites?
I.O : Exactement. Ce qu'a dit l'ex-ministre Mounir Mahjoubi ce matin, il a raison. Il y a plusieurs choses. Déjà on doit concevoir que c'est une bataille de société. On doit vraiment comprendre maintenant que nos actes de consommation dans le retail, quand on achète chez Amazon,...
C.A : le retail c'est le petit commerce, le commerce de proximité c'est ça?
I.O : Il y a le commerce de proximité mais il y a aussi les grandes marques. Toutes les deux paient leurs impôts en France et toutes les deux emploient des français pour pouvoir distribuer les produits. Donc moi j'oppose pas le commerce de proximité à la grande distribution, j'oppose plutôt le modèle français physique omnicanal, donc physique qui fait aussi du digital, à un modèle américain qui vient en mode pure player là dessus. Donc il faut absolument comprendre que ça doit être un acte citoyen, ça doit être également politique, on doit faire en sorte d'être compétitif.
C.A : Et bien justement vous parlez de politique, c'est à dire comment on peut vous aider, comment on peut aider les entreprises françaises à se développer, à se coordonner, peut-être à s'unir pour faire face à la concurrence d'Amazon ou d'Alibaba, pour reprendre les deux grands géants a l'est et à l'ouest.
I.O : Alors la première chose c'est de ne pas leur laisser une grande porte ouverte lorsqu'ils arrivent. Quand on voit par exemple qu'Alipay déploie son système de paiement un peu partout et quand on sait qu'en Chine il sert à faire de la reconnaissance faciale pour tracker les individus et alimenter... on ne dit plus
l'oeil de Moscou maintenant, mais l'oeil de Pékin. Faire attention à ne pas laisser la porte grande ouverte à tous ces systèmes. Faire attention avec qui on collabore même au niveau des systèmes d'information. Aujourd'hui ce sont des entreprises qui hébergent leurs données sur leurs serveurs, qui ont l'ensemble de ces transactions. Moi ce que je dis déjà c'est qu'un commerçant, quand il vend sur Amazon, il est entrain d'alimenter la bête qui demain viendra le concurrencer. Et le deuxième lever c'est aussi d'avoir aussi un peu d'équité. De l'équité sociale, de l'équité fiscale, parce qu'il n'est pas normal que quand on vend un produit en France qui est consommé par des français on ne paie pas le même impôt. L'équité sociale c'est aussi dans la donnée du rapport de ce matin. On nous dit que pour 600,000 euros de chiffre d'affaire chez Amazon il faut un employé là où il en faut 270 dans le commerce de proximité. Donc il y a des mesures qui ont été mises en place. Par exemple le gouvernement va décider de taxer la livraison. Plus on est loin de l'entrepôt pour pouvoir livrer. Il y a un ensemble de réformes qui doivent accompagner ce commerce pour nous permettre de rester compétitifs, parce qu'ils ne se battent pas avec les mêmes règles, ils ont pas les mêmes outils et il faut absolument pouvoir aider notre distribution à pouvoir y répondre.
C.A : On comprend bien en tout cas que vous êtes plongés au sein d'une grande bataille, bataille de société même comme vous nous l'avez expliqué. Merci beaucoup Ismael Ould, d'être venu nous voir, fondateur de la société Anycommerce by ChapsVision.